Burial Applicant [ PV ]

Merveilleux jour que le dimanche ! [pourquoi ça, Duddley ? *BAFFE*] Le seul jour de la semaine où, que l'on soit écolier, lycéen, étudiant, salarié, patron, directeur, on est tous égaux devant un fait indéniable: ce jour là n'est pas comme les autres. Parce qu'on ne travaille pas, qu'on ne fait rien de ce qu'on est obligés de faire, et qu'on en profite généralement pour se reposer, ou faire quelque chose qui nous plaît d'avantage. Vingt-quatre heures de liberté. Saku ne supportait pas de dormir longtemps ce jour-là, parce qu'elle voulait toujours mettre à profit ce temps où elle pouvait faire et être ce qu'elle voulait, sans en perdre une miette. Elle s'était donc levée vers huit heures, et était descendue prendre son petit déjeuner. Son baladeur MP3 l'attendait là où elle l'avait laissé la veille, et elle enfila ses oreillettes tout en préparant ses céréales.

« Hello my dear, kill me gently: a burned body doesn't leave you~ ♪♫ » [ X ]

Elle chantonnait doucement sans vraiment faire attention, mais sa petite voix s'élevait très juste dans la cuisine. Personne n'était encore debout, et elle ne réveilla personne. Elle avait choisi des Choco Pops LunaStella, et on comprend pourquoi, sachant que la forme de ces céréales lui rappelaient elle-même, et son ami Lu. C'était une drôle d'obsession: dès qu'elle voyait des objets représentant la lune, le soleil, ou une étoile, il fallait qu'elle se les approprie. C'est amusant comme on peut s'accrocher à des détails qui nous font penser à ceux que l'on aime, et qui sont loin de nous. Même si ça n'a de sens que pour nous.
Après le petit dej', Saku fila se préparer. Elle dût laisser tomber ses écouteurs le temps d'enfiler ses vêtements. Comme chaque dimanche, elle se faisait un peu plus jolie qu'à l'ordinaire: elle choisit une robe toute blanche, qui s'arrêtait juste au dessus des genoux, et accrocha sur ses épaules deux petites ailes en carton, recouvertes de plumes blanches. Une simple paire de snickers blanches pour les pieds, ses bracelets avec des étoiles sur plus de dix centimètres au poignet droit, de la poudre blanche pailletée sur les yeux, et elle termina en se faisant une mini-tresse sur le côté des cheveux, à laquelle elle accrocha une plume... blanche. Aujourd'hui, elle était un ange. Ce n'était pas assez outrancier pour qu'elle ait l'air déguisée, mais ça donnait à son style habituel une touche particulière, qu'on ne pouvait pas ne pas remarquer.

Elle attrapa son appareil photo, et sortit, en prenant garde de ne pas faire trop de bruit, pour ne réveiller personne. Elle aurait pu voir des amis, c'était d'ailleurs son habitude, mais elle n'en avait pas envie. Pas aujourd'hui. Elle se dirigea vers le parc. Comme elle avait eu la sensation de ne pas vraiment profiter de la chanson, puisqu'elle avait dû enlever ses écouteurs en cours de route, elle la remit au début. Elle monta un peu le volume, pour que les bruits de la rue ne gênent pas son écoute.

« Die for me, for me ! You can't save me. Is it wrong ? Kotaete misete, misete ! Hora yura yura yura, to sono me yurashite. Nagasu namida ni uso wa nai, to my hands, and eyes, my mind and breath saigo ni nokuro no wa ? Yake tadarete kusari hateta kiroku, to ko mo sukuenu sangai~ ♪♫ »

Elle chantonnait assez fort pour s'entendre malgré les écouteurs dans ses oreilles, et pourtant assez doucement pour qu'on ne l'entende pas à l'autre bout de la rue. Chaque fois qu'elle croisait quelqu'un, elle avait droit à un regard dubitatif, autant pour sa tenue que pour sa chanson, qui n'avait rien de française, car elle ne baissait pas spécialement le volume à l'approche d'une personne qui pouvait l'entendre. C'était une vieille chanson, enfin elle avait quelques années, mais à l'époque où elle était sortie, Saku l'avait écoutée en boucle, et même si ça lui arrivait beaucoup moins fréquemment à présent, elle l'écoutait toujours avec plaisir, et la chantait de même.
Elle arriva bientôt au parc. Elle coupa son MP3 et prit le temps d'écouter le silence. Oui, oui, le silence ça s'écoute. Avec attention, même. Bien qu'il ne dure jamais longtemps. Des pépiements d'oisillons sur la gauche, le roucoulement d'un pigeon sur la droite, le crissement des roues d'un vélo juste en face, le pas lourd d'un gros monsieur derrière, le ronronnement d'un moteur de voiture, au loin.. Saku s'assit sur le banc, et sortit son appareil photo. Elle commença par viser simplement, regarder le monde à travers son objectif sans appuyer sur le déclancheur, les arbres, le bassin d'eau, un petit chien. Puis elle essaya de viser les gens, mais obtint de la plupart d'entre eux un regard noir. Elle soupira, et visa ses pieds. Ses jolies chaussures, sous cet angle de vue, avec la couleur du sol... Oui, ce n'était pas si mal comme image. CLIC ! Elle prit une photo. Puis elle chercha du regard ce qu'elle pouvait photographier d'autre.

« Forget me, for me ! You can't save me. Is it wrong ? Kotaete misete, misete ! Hora yura yura yura, to sono me yurashite. Nagasu namida ga subete uso, to my hands, and eyes, my mind and breath saigo no okizari wa yake tadarete kusari. Hateta kiroku, to ko mo aisenu yurikago~ ♪♫ »

Mince ! Depuis combien de temps chantonnait-elle comme ça ? Ah le pouvoir des chansons-scies ! Il suffit de les écouter pour ne plus pouvoir se les enlever de la tête ! Oh et puis après tout... Consciemment, cette fois, la blondinette reprit la chanson du début, et recommença à chanter, tout en balayant le parc du regard, à travers l'objectif de son appareil photo.

La chanson de Saku était morte dans le vent, avec la dernière syllabe. Le silence allait probablement régner jusqu'à ce qu'elle trouve un autre air à fredonner. En attendant, elle se concentrait d'avantage sur les images qui défilaient dans son appareil photo. Un enfant en train de manger sa glace. Un petit chien en train de courir après sa propre queue. Une petite fille sur son vélo. Un grand gars en rollers. Elle ne prenait pas d'image, mais s'amusait à se demander ce que ça donnerait, si elle le faisait. Une autre chanson monta à ses lèvres. Elle allait commencer à la chanter lorsque... "Ploink ploink"... Un bruit de guitare que l'on accorde se fit entendre, pas très loin. La blondinette baissa son appareil photo. C'était probablement un chanteur de rue. Elle renonça à sa chanson, et chercha du regard l'origine du son, qui se fit plus régulier et plus mélodieux. "Tzingalingaling", pas de doute, on jouait avec un certain talent.
De l'autre côté de la fontaine centrale, à quelques pas devant elle, il y avait un autre banc, qui faisait face au sien, dans une simétrie parfaite. Un attroupement semblait se former de ce côté. Des jeunes filles de son âge, et un peu plus vieilles, surtout. Comme la statue sur la fontaine lui bouchait sensiblement la vue, et qu'elle était incapable de distinguer le chanteur de rue, elle se leva, et fit le tour du monument, comme si ça lui permettrait de mieux entendre. Elle alla donc se ranger parmi la petite dizaine de lycéennes qui s'étaient arrêtées, et écouta avec attention. Il n'était pas mauvais...

Elle ne connaissait pas la mélodie qu'il était en train de jouer, il lui semblait qu'elle ne l'avait même jamais entendue, mais elle la trouvait douce, mélancolique, amère. Elle s'insinuait en elle comme un filet d'eau froide qui coule dans votre dos, et vous glace jusqu'à la moëlle. Mais le frisson qui parcourut sa peau était sans conteste un frisson de plaisir. Elle sourit.
Il ne ressemblait à rien. En tout cas à rien de ce que Saku avait pu connaître jusque là.. Un jean troué, pour faire plus rock, un tee noir, pour faire plus dark, et des baskets, jusque là, rien de bien folichon.. Pour le reste, par contre.. Une tignasse de cheveux blonds lissés, et un bandeau sur le nez. Pourquoi sur le nez ? Un tel look l'aurait fait sourire sur un adolescent, ou même un jeune homme de dix-huit ou dix-neuf ans, elle en connaissaient même qui se faisaient ce genre de style, et la comparaison la fit sourire, mais elle avait devant elle un homme adulte. Il était beaucoup plus vieux qu'elle, il n'avait ni l'âge d'être son père, ni celui d'être son frère, il appartenait à cette génération entre la sienne et la précédente, celle qui lui était en principe inaccessible. Fascinée, mais pas pour la même raison que la plupart des demoiselles qui le dévoraient des yeux à ses côtés, elle le fixa un moment. On pouvait donc garder ce style de vie, cette façon de paraître et de se comporter, jusqu'à un âge indéfini ? C'était pour elle une découverte amusante, et on ne pouvait plus intéressante.

La musique se rappela à elle alors qu'elle se rendait compte qu'il était déjà à la moitié de sa chanson. Pour ne pas se perturber d'avantage avec ce qu'elle voyait, elle ferma les yeux, et plaça toute son attention dans son sens auditif. La mélodie s'inscrivait en elle comme elle se serait gravée dans de la pierre brute, immuable. Elle habiterait sa mémoire un moment.
Lorsque le morceau fut terminé, les filles applaudirent. Il semblait s'en soucier comme de sa première chemise.. Sentant qu'il s'apprêtait à en jouer une autre, Saku s'approcha un peu, sentant une flopée de regards hostiles se poser sur son dos, accompagnés d'un murmure de désapprobation. Elle était impressionnée, du haut de ses quinze petites années, par une personne dont l'aura semblait s'étendre sur toute cette partie du parc, pourtant sa voix ne trembla pas, et c'est avec l'assurance de celle qui demande quelque chose de tout à fait anodin qu'elle demanda:

« Excusez moi, est-ce que je peux vous filmer ? »

Elle voulait garder un souvenir de cette sensation étrange qui l'habitait, cette fascination qu'il était capable d'exercer sur tous ceux qui venaient à passer par le parc et à l'écouter. De plus, elle n'avait rien de bien intéressant à ramener avec son appareil photo jusque là, et une vidéo de ce chanteur de rue semblait de loin plus excitant qu'un combat de pigeons... Seulement, elle était parfaitement consciente que selon les lois sur le droit à l'image, elle n'avait pas le droit de le filmer sans son accord.

l Désolée, j'étais dans un drôle d'état pour écrire X.x l